Dez 15, 2016
Philippe Sollers : Les dessous de l'obscénité
Dans « Discours Parfait », paru en 2010, une interview intitulée « Les dessous de l'obscénité », dont je vous propose l'extrait suivant :
Il n'y aurait plus aujourd'hui ni de vrai philosophe ni de vrai révolutionnaire ?
Sauf en clandestinité profonde.
Cela veut dire ?
Par exemple, se montrer pour ne pas être vu... Un de mes projets, c'est de décrire romanesquement la vie parfaitement inaperçue de Nietzsche.
Ce serait quoi, la vie inaperçue de Nietzsche ?
Ce serait quelqu'un dont personne ne soupçonnerait qu'il est Nietzsche. Ce serait Nietzsche s'étant rendu compte qu'il n'y avait pas lieu d'attendre quoi que ce soit d'un surhomme puisque désormais nous sommes dans le sous-homme.
Mais dans la clandestinité de Nietzsche secret, là l'obscène lui-même serait caché.
Personne ne se douterait de rien.
Ce serait la pure obscénité ?
Oui.
La pensée pure.
La pensée pure maîtrisant parfaitement son impureté invincible.
Mais quelle communication y aurait-il avec les autres ?
Il n'y a aucun besoin de communiquer réellement avec les autres. La seule communication dont on s'occupe, c'est du business...
C'est Mallarmé, « l'universel reportage ». À quoi s'oppose peut-être la communauté de ceux qui n'ont pas de communauté...
Non. Surtout pas de communauté. La communauté inavouable de Blanchot, ça sent déjà son flicage. Toute communauté est à rejeter.
(Cette assertion est suivie d'un grand silence.)
Nous avons perdu de vue, au fil de cet entretien, le sentiment.
Vous lirez dans le journal de Mme Robbe-Grillet, qui s'appelle Jeune mariée - c'est un journal qui date des années 1957-1962 -, que Robbe-Grillet était un grand sentimental : il pleure souvent et il s'en défend constamment. Il fait paraître tout à fait autre chose : fantasmes érotiques, films, trucs rituels... Les gens qui sont fascinés par l'obscénité basse sont en réalité de grands sentimentaux et réciproquement.
Ils sont incapables de sentiment comme de pensée ?
Oui. Le concept de goût entre ici en considération.
La littérature et la philosophie seraient le lieu d'une révolution, une révolution du goût ? Peut-on la trouver aussi chez des peintres, des cinéastes ?
Même chez des gens qui ne disent rien.
(Un silence.)
Chez vous, c'est un fil rouge, la révolution ?
Bien sûr, je ne pense qu'à ça, mais j'hésite désormais à employer le mot littérature ou le mot philosophie. Je garde le mot révolution, justement parce qu'il est tellement déconsidéré.
Ces mots sont surchargés, pleins d'ambiguïtés ?
Je n'en veux pas.
Vous avez des mots de rechange ?
J'emploierais peut-être le mot jeux, au pluriel.
Sauf en clandestinité profonde.
Cela veut dire ?
Par exemple, se montrer pour ne pas être vu... Un de mes projets, c'est de décrire romanesquement la vie parfaitement inaperçue de Nietzsche.
Ce serait quoi, la vie inaperçue de Nietzsche ?
Ce serait quelqu'un dont personne ne soupçonnerait qu'il est Nietzsche. Ce serait Nietzsche s'étant rendu compte qu'il n'y avait pas lieu d'attendre quoi que ce soit d'un surhomme puisque désormais nous sommes dans le sous-homme.
Mais dans la clandestinité de Nietzsche secret, là l'obscène lui-même serait caché.
Personne ne se douterait de rien.
Ce serait la pure obscénité ?
Oui.
La pensée pure.
La pensée pure maîtrisant parfaitement son impureté invincible.
Mais quelle communication y aurait-il avec les autres ?
Il n'y a aucun besoin de communiquer réellement avec les autres. La seule communication dont on s'occupe, c'est du business...
C'est Mallarmé, « l'universel reportage ». À quoi s'oppose peut-être la communauté de ceux qui n'ont pas de communauté...
Non. Surtout pas de communauté. La communauté inavouable de Blanchot, ça sent déjà son flicage. Toute communauté est à rejeter.
(Cette assertion est suivie d'un grand silence.)
Nous avons perdu de vue, au fil de cet entretien, le sentiment.
Vous lirez dans le journal de Mme Robbe-Grillet, qui s'appelle Jeune mariée - c'est un journal qui date des années 1957-1962 -, que Robbe-Grillet était un grand sentimental : il pleure souvent et il s'en défend constamment. Il fait paraître tout à fait autre chose : fantasmes érotiques, films, trucs rituels... Les gens qui sont fascinés par l'obscénité basse sont en réalité de grands sentimentaux et réciproquement.
Ils sont incapables de sentiment comme de pensée ?
Oui. Le concept de goût entre ici en considération.
La littérature et la philosophie seraient le lieu d'une révolution, une révolution du goût ? Peut-on la trouver aussi chez des peintres, des cinéastes ?
Même chez des gens qui ne disent rien.
(Un silence.)
Chez vous, c'est un fil rouge, la révolution ?
Bien sûr, je ne pense qu'à ça, mais j'hésite désormais à employer le mot littérature ou le mot philosophie. Je garde le mot révolution, justement parce qu'il est tellement déconsidéré.
Ces mots sont surchargés, pleins d'ambiguïtés ?
Je n'en veux pas.
Vous avez des mots de rechange ?
J'emploierais peut-être le mot jeux, au pluriel.